Alain Passard, chef de l’Arpège, l’alchimiste des « légumes Grands crus ».

© Dos Santos Lemone

Il aurait pu faire broder son nom sur son tablier blanc comme le font quasiment tous les chefs étoilés, mais non, Alain Passard est un chef jardinier « low profile », qui ne vit que pour une cuisine sans fards, toute simple, à son image, une cuisine revue et corrigée au détail près, selon le respect des saisons. Alain Passard, au piano du 84, rue de Varenne depuis le siècle dernier, le chuchote parfois à l’oreille de ses clients : « la nature est au cœur de mon existence ! ».

Franchement, ce n’était pas là une découverte puisque tout le monde le savait mais ce que le poète oublie généralement d’ajouter c’est qu’il s’oblige chaque année, à réinterpréter le produit d’une autre façon, jamais sans le dénaturer, toujours pour le plaisir des sens. L’artiste est en France un des rares musiciens du genre car les Français ne sont pas forcément friands des légumes… Fût un temps où Alain les mettait même presque entièrement à sa table. Dans ses différents potagers producteurs (Fillé sur Sarthe, Buis sur Damville, le Jardin des Porteaux…), figure aujourd’hui une nouvelle parcelle du côté de Vittel.

Alain Passard © Douglas McWall

« Parce qu’ils se mariaient avec l’eau pure de la marque ». Je cultive mes légumes afin de pouvoir raconter une histoire de la graine à l’assiette ! Les légumes que cultive en effet Alain sont à 100 % naturels. Dans les paniers, on les retrouve, comme on dit, «à l’état brut», c’est-à-dire : parfaits !

A l’Arpège, depuis 1986, dans le décor aux panneaux en citronnier avec incrustations Lalique et fauteuils chromés sièges en cuir, l’assiette s’oblige à de la fine porcelaine de Limoges ou de la faïence de Quimper. Dès l’instant où elle se pose sur la table, le gourmand se prépare au festival gustatif qui suit.

Et ce sera pour commencer une succession de toasts culinaires goûteux. Viendra un chaud-froid d’œuf, 4 épices, vinaigre de Xérès ; les sens se mettront ensuite directement en éveil avec émotion, surprise  émerveillement, douceur et acidité grâce à un velouté automnal au speck (jambon cru fumé) de la forêt noire et crème soufflée. Un tartare pourpre végétal acidulé à la betterave de pleine terre régalera à la fois par sa texture, son goût et ses couleurs. Le carré de veau de Corrèze grillé entier au parfum de vin chaud et endive caramélisée fond dans la bouche, formera le plaisir des papilles. Il aura été magnifié avec intensité et gourmandise par des épices venues d’ailleurs : cannelle, girofle, badiane, gingembre, muscade et fleurs d’hibiscus… Le dessert se nommera « Bouquet de roses ». Des pommes ont été enveloppées au fond d’une tartelette telles un bouquet avec leurs queues d’amandes grillées, pointes en l’air, la sauce est un caramel au miel blond.

© JC Amiel

« Dans ce menu que j’ai conçu pour le Réveillon étoilé Vittel 2017, j’ai souhaité sublimer un moment que j’aime particulièrement entre la fin de l’automne et l’hiver car il nous transporte au cœur de nos terroirs. Les légumes cultivés sur les terres sont les éléments essentiels d’un menu d’exception ». Alain Passard est ce breton d’Ile et Vilaine qui fut influencé par Louise Passard, sa grand-mère. Très tôt, il fit ses classes chez Alain Kérever puis Gérard Boyer.

Hésitant entre devenir pâtissier ou cuisinier, il finit par opter pour la deuxième voie. Révélé comme cuisinier au Duc d’Enghien (Casino) en 1986, il poursuivit à l’hôtel Carlton de Bruxelles. Alain Passard reprend l’ancien restaurant d’Alain Senderens (l’Archestrate) et le baptise en hommage à la musique : l’Arpège. « J’ai confié ma créativité à la nature, c’est elle qui dicte mon geste. Le plus beau livre de cuisine a été écrit par la nature ! ». Cet alchimiste des légumes « Grands crus » a bien mérité depuis trente ans ses trois étoiles et son col de chef-jardinier !