Marc Veyrat | Manigod | L’homme qui tutoie les sommets

© La Maison des Bois – Marc Veyrat

Dans ses montagnes des Aravis, à Manigod, le village de son enfance, Marc Veyrat a renoué avec 3 étoiles Michelin, la distinction suprême qu’il a tant de fois obtenue au fil de sa carrière. La Maison des Bois, son établissement, est un lieu à part où s’ajoute au plaisir d’une cuisine exceptionnelle celui d’un environnement unique où le chef s’épanouit. Discussion avec un autodidacte passionné et passionnant.

Propos recueillis par : Valérie Blanc

Vos premières heures en cuisine, passion ou obligation ?

Marc Veyrat : Une passion, évidemment ! J’étais loin d’un univers étoilé puisque j’aidais dans la ferme d’hôte familiale qui était à Manigod. Tout était maison, le lait de nos vaches servait à faire les reblochons et nos cochons, la charcuterie. C’est le plus bel apprentissage que je n’ai jamais eu. Tout y était l’amour, la famille, la terre. C’est là dans cet environnement, cette jeunesse unique que je me suis imprégné de la cuisine.

Vous avez suivi quel parcours par la suite ?

Marc Veyrat :Je suis entré à l’Ecole Hôtelière de Thonon où j’ai été « viré » au bout de 3 mois ! Quand mon père est venu me chercher, il m’a dit une phrase qui m’a marquée : « tu feras toujours honte à la famille ». De là, j’ai cherché un emploi et je suis entré au Tresum à Annecy où durant 2 ans, j’ai officié en tant que chef. J’ai géré une équipe, j’ai beaucoup appris. Par la suite, j’ai monté mon premier établissement à Manigod, l’Eridan, qui était alors moitié bergerie, moitié restaurant. Je renouais avec mon passé puisque de nouveau tous les produits venaient de la ferme familiale, du lait aux légumes.

>© La Maison des Bois – Marc Veyrat

Après, j’ai déménagé l’Eridan à Annecy-le-Vieux où j’ai obtenu 2 étoiles, j’ai ouvert un bistrot au centre d’Annecy puis l’Eridan a pris ses quartiers au bord du lac, dans la maison bleue. Quelques années plus tard, j’ai créé, en parallèle, à Megève un autre restaurant. Dans mes 2 adresses, j’avais 3 étoiles et par deux fois j’ai eu 20 sur 20 au Gault & Millau, ce qui est tout à fait unique.

A quel moment, les plantes sauvages sont devenues « vos meilleures amies » ?

Marc Veyrat : C’est une rencontre avec un immense spécialiste, François Couplan, qui a tout déclenchée. J’avais une connaissance sommaire, il m’a tout appris. Aujourd’hui, en revenant dans mes montagnes, régulièrement je pars à la cueillette. Je teste, j’analyse, je goûte. J’ai un faible pour le calament. C’est une plante qui a un goût d’amande et de rose. Elle est formidable en cuisine.

Vous travaillez de quelle manière pour créer un plat ?

Marc Veyrat : C’est compliqué à expliquer car cela tient de la sensibilité et de la sensation. Pour vous donner un exemple, j’ai un plat qui me suit depuis longtemps, la féra au café. La recette est née après avoir senti la peau d’une féra que le pêcheur venait de me livrer. Il se dégageait une odeur qui me faisait penser au café. C’était assez inouï, je ne m’y attendais pas. Du coup, j’ai créé une sauce au café et le résultat était vraiment probant. Voilà comment peut naître une recette !

© La Maison des Bois – Marc Veyrat

Quelle définition donnez-vous de votre cuisine ?

Marc Veyrat : J’ai écrit il y a 25 ans, une encyclopédie. Aujourd’hui quand je regarde ce que font les chefs, beaucoup de choses en émanent. J’ai une cuisine visionnaire depuis les premières heures et, ici, à La Maison des Bois, j’invente, au quotidien, la cuisine de demain.

La Maison des Bois, c’est un aboutissement ?

Marc Veyrat : C’est un retour aux sources. Je suis sur un terrain qui appartenait à mes parents, devant le Mont-Blanc et la chaîne des Aravis, un environnement unique. Je voulais un établissement autonome comme j’avais connu dans mon enfance. Ici, je l’ai puisque nous vivons à 80% en autarcie. De plus, forêts, alpages, clairières sont des terrains de jeu inouïs pour les plantes sauvages. Il y en a tant de différentes. Je me fais plaisir, je crée, j’invente, je teste, je juge, je jauge et au final je propose cette cuisine visionnaire qui est ma marque de fabrique depuis toujours.

Et demain ?

Marc Veyrat : A l’heure où nous parlons, je suis à quelques jours du lancement d’une nouvelle carte. Je vais aller chercher des plantes et je vais revenir pour créer. Tout va être spontané car je ne sais pas encore où elles vont me mener. Les produits, les bons produits je les ai. Maintenant je dois trouver le + de chaque plante pour que les associations soient parfaites. Ce sont elles qui donnent le « la ».

© La Maison des Bois – Marc Veyrat